VIVRE AUTREMENT
POINTS DE VUE - RESSOURCES
L’objectif des publications de « La psychologie au pied du mur » qui n’engagent que leurs auteurs est de susciter une réflexion à la lumière de l’aspiration qui nous est commune. ( Voir Page d’accueil )
Fabrice Midal est le fondateur de l’École occidentale de méditation.
Il est l’un des principaux enseignants de la méditation en France et l’auteur de nombreux livres où il montre comment la méditation peut s’incarner dans tous les moments de notre existence et aider à habiter notre corps, à retrouver le sens profond de l’art, de l’éthique, de la littérature.
La voie du chevalier ; pratique de la méditation laïque
Fabrice Midal
« On ne médite pas pour se détendre ou pour lutter contre le stress, on le fait pour s’ouvrir au discernement, développer une forme de clarté et d’intelligence des situations, cesser d’être déconnecté de la réalité. Sous sa forme laïque, la méditation s’appelle aujourd’hui « pleine conscience » ou « pleine présence ». D’un côté, elle nous donne le courage d’affronter ce qui nous déplaît ou nous effraie ; de l’autre, elle nous permet d’être tendres et bienveillants, d’accepter les choses comme elles sont. Ce courage et cette bienveillance, alliés au désir d’être utile, sont au coeur de…
…l’esprit de chevalerie, une voie d’accomplissement qui permettait de relier la pensée et l’action, et dont Fabrice Midal montre qu’elle peut s’avérer, dans la société actuelle, d’une aide précieuse pour se connaître, s’épanouir et s’émanciper. »
Source : La Kazabul
Présentation par l’éditeur, Payot.
Oser être soi, agir avec éthique, surmonter ses peurs, retrouver le sens de la générosité : la méditation peut s’appliquer à notre vie quotidienne et nous permettre de la concilier avec l’aspiration à une existence plus digne et spirituelle, soucieuse des autres et du monde. Tel est aussi le sens de la voie ancestrale et universelle de la chevalerie dont Fabrice Midal, l’un des principaux enseignants de la méditation en France, montre qu’elle peut aujourd’hui s’avérer d’une aide précieuse pour se connaître, s’épanouir et s’émanciper.
Fabrice Midal, philosophe, a fondé l’École occidentale de méditation et propose dans chacun de ses ouvrages une vision concrète, laïque d’une pratique devenue en quelques années un véritable phénomène de société.
Christophe André invite Fabrice Midal
FABRICE MIDAL – DESCENDRE AUX ENFERS PAR AMOUR
Paru dans Grandes Ecoles et Universités Magazine – N° 58 / Avril 2013
Les livres singuliers de Fabrice Midal, qui touchent à une multitude de domaines, philosophique, poétique, spirituel ou encore artistique, n’ambitionnent pas tant d’énoncer des vérités que d’ouvrir un chemin où chacun est invité à s’engager, au risque de la métamorphose, en quête de toujours plus de liberté et d’amour. Cette voie exige de ne pas faire l’économie de la nuit, si l’on veut, à la croisée des disciplines, renouer le lien profond qui unit nécessairement l’existence humaine aux grandes oeuvres de l’esprit.
Pour introduire votre parcours philosophique, peut-être pouvez-vous évoquer ce moment de votre vie où, à peine vos études terminées, vous vous êtes inscrits en auditeur libre aux cours que donnait le professeur Fedier à ses élèves de Khâgne ?
La grande aventure de mon travail a toujours été d’essayer de penser en se libérant du carcan de la spécialisation dans lequel il y a d’un côté la philosophie et de l’autre des questions existentielles liées à la psychologie ou à la psychanalyse, des questions spirituelles ou encore la question de la littérature ; j’étais très étonné de voir à quel point tout cela était distinct, séparé.
La question importante est de savoir comment retrouver l’unité. Dans La tendresse du monde, c’est au fond le rassemblement d’une interrogation à la fois littéraire, existentielle, philosophique, politique, et je ne vois pas comment on peut vivre en déchirant son existence.
Quand j’étais étudiant en philosophie à l’université, j’ai beaucoup souffert de cette séparation, d’une certaine forme de spécialisation abstraite où je ne voyais plus le lien entre ce que j’étudiais et ma propre existence. Et donc quand j’ai trouvé l’enseignement d’un professeur de classe de Khâgne où j’étais auditeur, ayant déjà fini mes études, j’ai eu l’impression, sans vouloir me comparer à Dante, de trouver mon Virgile, c’est-à-dire celui qui vous emmène au coeur même d’un questionnement décisif sur votre propre existence.
De la même manière que Dante perdu dans la forêt de son ignorance trouve en Virgile celui qui va l’aider à trouver sa propre route, cet enseignant m’a aidé à ouvrir un chemin qui m’est particulier. Il enseignait d’une manière incroyablement vivante et libre, sans que la précision de sa pensée n’exclue le côté le plus vivant de notre existence.
C’est l’exigence de ce lien qui est à mon avis au coeur du renouvèlement nécessaire de la philosophie. Celle-ci ne peut continuer à avoir une place et nous aider qu’en tant qu’elle retrouve une interrogation centrale quand à l’existence même de l’être humain, loin de devenir une affaire de spécialistes obnubilés par l’opacité de leurs recherches.
Elle doit entrer dans la profondeur de l’existence humaine. Tout être humain en tant qu’il est un être humain est déjà philosophe, est appelé à penser.
Or ce rapport est obstrué par une philosophie devenue trop technique d’un côté, ou trop vague de l’autre. Le moyen terme est tout l’enjeu de mon travail.
Cette idée que la philosophie doit être reliée à l’existence ne présente-t-elle pas le risque inverse d’en faire un simple mode d’emploi pour acquérir le bien-être? Vous pensez que la philosophie n’a pas pour but de nous apporter la paix, mais doit être une source d’ébranlement…
Oui, la philosophie est cette tension amoureuse vers la sofia – traduit souvent incorrectement par ‘‘sagesse’’ alors qu’elle signifie ‘‘savoir à son acmé’’ -, tension qui nous appelle à plus d’être, et qui est une manière de s’inquiéter des évidences, personnelles et sociales, à travers un questionnement radical. Aujourd’hui, cette radicalité du questionnement philosophique est perdue de vue.
On pourrait croire par exemple que la politique serait plus radicale dans son questionnement de l’ignominie de notre monde, mais c’est une erreur.
La politique est bien souvent trop courte dans sa compréhension de ce qui est effroyable dans notre monde, et que la philosophie nous permet de penser. Il faut se souvenir ici que la philosophie nait avec Socrate qui est mis à mort parce qu’il dénonce déjà l’imposture de son temps. A chaque époque il y a une forme d’empêchement de vivre.
La philosophie n’a de sens qu’en tant qu’elle est une mise en question. Le celui qui donne son titre à mon livre, La tendresse du monde, l’art d’être vulnérable, consiste en cet effort pour essayer de faire philosophiquement apparaître ce par quoi la vie est empêchée en nous.
Dans notre monde, il y a une sorte d’injonction à ne pas être vulnérable, il faut assurer en toutes circonstances, être un robot, efficace.
Mais cela n’est pas possible. Il y a deux formes de vulnérabilité, qu’il est important de distinguer. Celle qui fait que tout me désarçonne, me fait perdre pied systématiquement. Ce n’est pas celle dont je parle, qui est une forme de solidité, et qui fait que je n’ai plus besoin de me défendre sans arrêt de tout.
C’est l’analyse que fait Kafka dans sa nouvelle intitulée Le terrier : je reste à l’abri, me protège de tout, du risque de la rencontre, de la nature, de l’Art… Je vis dans une tour d’ivoire.
Or, il faut assumer pleinement le fait qu’il n’y a pas de sérénité possible pour l’être humain.
Tout être humain souffre, à se dépasser, à prendre un risque.
Il est dangereux de promouvoir la sérénité à tout prix.
Ce n’est pas une apologie de la souffrance, mais nier que l’être humain souffre ne peut que conduire à quelque chose de totalitaire et d’inhumain.
Une des caractéristiques de votre travail est le lien que vous tissez entre philosophie occidentale et spiritualité orientale…
Plus que la spiritualité, c’est la pratique de la méditation découverte à l’âge de 20 ans, qui est importante pour moi. Je ne me sens pas dans la spiritualité orientale, avec tout ce que cela implique de nébuleux aujourd’hui, mais je me sens très marqué par la pratique de la méditation, qu’il faut maintenant essayer de définir, car elle est au coeur de ce que je voudrais dire. Qu’est-ce que la méditation? C’est l’effort délibéré pour entrer en rapport au présent dans sa vérité propre, de telle manière que nous voyions ce qui nous empêche d’en faire habituellement l’expérience, et cela selon trois modalités particulières : le pilotage automatique, où je vis sans vraiment me rendre compte de ce que je fais, dans un manque de présence. La deuxième est une sorte d’intensité émotionnelle, de douleur, d’angoisse… Et la troisième est une forme de brouillard dans lequel on vit comme par procuration, loin de sa propre existence. Méditer c’est donc entrer en rapport au présent en travaillant avec ces trois obstacles. Ce sont différents niveaux d’inattention. Or cette découverte de l’attention m’a semblé une manière absolument unique d’entrer en rapport à l’expérience propre de l’être humain. Plus que jamais, il me semble que nous sommes aujourd’hui coupés de notre propre expérience, que nous avons besoin de retrouver un rapport à ce que nous vivons. La grande maladie de notre temps est de vivre loin de ce que nous éprouvons. Notre pensée est assez pauvre et mécanique, ainsi que nos sentiments et paroles. Il y a une perte du rapport à la parole, aux émotions, aux sentiments, à l’existence, à ce qui nous engage, en raison d’obligations sociales diverses qui entravent ce que nous sommes. Il y a là un défaut d’ambition, le manque de ce rapport à notre expérience que prône la méditation nous faisant confondre l’ambition véritable avec des chimères. Ce que je dis là ne peut que déconcerter n’importe quel lecteur parce que les revues de méditation vous expliquent exactement le contraire. La méditation est présentée aujourd’hui comme une manière de se vider l’esprit, d’être moins stressé. Elle devient un simple outil de gestion. De mon point de vue, cette vision est complètement barbare, et je la dénonce le plus fortement possible, car la méditation n’a pas pour finalité de faire de nous des sortes d’animaux flottants, mais de permettre au contraire de nous situer au plus vif de notre rapport à la réalité, d’être plus incarné, plus vivant, plus prêt à risquer la liberté et à entrer dans l’amour fou. Mes deux livres Et si de l’amour on ne savait rien ? et Risquer la liberté, étaient deux manières de tenter de parler de cette expérience de la méditation, d’entrer dans la démesure intrinsèque, constitutive de l’amour. La méditation si elle a un sens, doit répondre à cela, et ainsi entendue, elle représente selon moi la clef. Mais évidemment, j’ai bien conscience que ce n’est pas comme cela qu’elle est partout présentée aujourd’hui…
La poésie occupe également une place importante dans votre travail. Celle-ci, par son pouvoir d’évocation, est-elle capable, plus que la philosophie, sinon d’expliquer du moins de donner à voir l’impensable ?
Oui, c’est très clair. Je pense que l’on se trompe beaucoup sur la poésie. Elle n’est pas le poétique au sens d’un beau coucher de soleil, mais l’épreuve de pointe du risque d’être un être humain. La figure majeure dont se sont réclamés tous les poètes est Orphée, celui qui par amour entre dans les enfers. Qu’est-ce que la figure du poète? Ce n’est pas celui qui est dans le poétique, c’est celui qui traverse les enfers. C’est ce qu’ont fait Orphée et Dante, mais aussi Baudelaire avec Les fleurs du mal, Rimbaud dans Une saison en enfer, mais aussi Nerval et René Char, Paul Celan ou encore Ossip Mandelstam au début du XXème siècle. Mandelstam qui traverse l’ignominie du stalinisme jusqu’à en mourir, pour avoir écrit un poème contre Staline. Paul Celan témoigna de son côté des camps de concentration. La poésie est ce qui dit la douleur, et la traversant, trouve une forme de lumière. La tendresse du monde est un livre qui fait un pas de côté par rapport à la philosophie et cherche cette lumière qui ne nie pas l’ombre, qui ne nie pas la nuit mais la traverse et l’adjoint au jour. C’est cela le mouvement central de la poésie, qui est au coeur de mon travail. Notre monde ne connait rien de la joie et de la vie parce qu’il ne veut rien connaitre de la douleur et de la mort. La question est de savoir comment retrouver dans l’expérience la présence du sacré – non pas le sacré selon son étymologie latine qui signifie la séparation, mais plutôt selon ses équivalents anglais de ‘‘holy’’ ou allemand de ‘‘heilig’’, qui disent l’ ‘‘entièreté’’, l’unité du jour et de la nuit, de la mort et de la vie. Comme le dit Heidegger : « Le philosophe nomme la vérité, le poète nomme le sacré ».
En ce sens, considérez-vous Kafka comme un poète ? Quelle est la nature du lien particulier qui semble vous unir à son œuvre ?
Il est l’un plus grands penseurs et écrivains du XXème siècle. Il y a très peu d’auteurs qui ont comme lui cette capacité de dire la vérité de notre monde avec une telle clarté, un tel foudroiement. Avant même l’arrivée du nazisme, Kafka a vu le système du désastre. Aucun psychologue ne possède sa finesse d’analyse, aucun analyste politique n’a eu sa conscience de la situation. Tout est génial chez lui, ses grands romans bien sûr, comme Le procès, L’Amérique ou Le château, mais ses courtes nouvelles comme Le Verdict ou Un célibataire entre deux âges, constituent des documents absolument sans équivalent pour comprendre notre douleur présente. Grâce à Kafka, je peux penser beaucoup plus loin que je n’aurais pu le faire seul. La grande littérature n’est pas une simple question de plaisir esthétique mais de vérité profonde. Les journaux transcrivent l’actualité sans nous expliquer pourquoi nous vivons ainsi, pourquoi nous souffrons comme nous souffrons, pourquoi nous espérons comme nous espérons. Je crois que seuls ici quelques penseurs de pointe peuvent nous aider. C’est le travail que j’essaie de discerner de livre en livre auprès des grands penseurs qui ouvrent la voie, Nietzsche, Rilke, Proust, Heidegger, Rimbaud, Cézanne, Matisse, Rothko… La catastrophe politique du XXème siècle est de ne pas avoir eu un homme politique à la hauteur de Rimbaud ou de Kafka. La plupart des penseurs contemporains est prisonnière de schémas du XIXème siècle. L’analyse que Kafka fait du capitalisme financier, montrant que ce n’est pas seulement un état économique mais aussi un état de notre âme, me semble décisive. Il ne s’agit pas seulement de penser des rapports économiques mais de montrer comment notre rapport au monde est marqué par des rapports économiques. Parler de ‘‘gestion des émotions’’, ou de ‘‘tests pour les étudiants’’ dénote par exemple d’une barbarie extrême. De la même manière, le pétrole est une ressource mais pas l’être humain… Il s’est produit une déviation radicale du langage. On en arrive à des extrémités inquiétantes, des gens se suicident, s’immolent par le feu, car ils ne sont pas reconnus dans leur être. L’OMS a prévu qu’en 2020, la seconde cause qui empêchera les occidentaux d’aller travailler sera la dépression. Il y a là des questions majeures, et si nous ne pensons pas l’état catastrophique de notre société, son inhumanité, nous ne pourrons pas réussir. Kafka nous invite à sortir des idées toutes faites, c’est ce qui donne à son oeuvre son aspect déconcertant, que j’ai essayé de garder dans mon livre. L’écrivain est celui qui parle pour de bon et assume sa vulnérabilité. Kafka dit la douleur d’être un homme. Si comme il le disait dans une lettre à un ami, un livre n’est pas « la hache qui brise la mer gelée en nous » – celle-ci figurant notre ignorance, notre absence de questionnement – il n’est pas un vrai livre. C’est pourquoi je suis heureux de m’adresser ici à de jeunes gens, qui ont plus de chance d’entendre ce que je dis, plus prêts à risquer quelque chose. C’est ce que je constate dans mes séminaires, la jeunesse ne vient pas chercher le bien-être, elle n’a pas renoncé, n’est pas encore écrasée par le rouleau-compresseur social. Ce n’est pas un hasard si Socrate s’adresse à des jeunes. L’expérience de l’incandescence à laquelle j’invite dans mes livres, est quelque chose qui les touche profondément.
Source : Monde grandes écoles et universités
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