POLITIQUE, ÉCOLOGIE, ÉDUCATION
« Les Yeux ouverts » , entretiens de Marguerite Yourcenar avec Matthieu Galey.
ÉCOLOGIE ET BARBARIE
« Je me dis souvent que si nous n’avions pas accepté, depuis des générations , de voir étouffer les animaux dans des wagons à bestiaux, ou s’y briser les pattes comme il arrive à tant de vaches ou de chevaux, envoyés à l’abattoir dans des conditions absolument inhumaines, personne, pas même les soldats chargés de les convoyer, n’aurait supporté les wagons plombés des années 1940-1945. Si nous étions capables d’entendre le hurlement des bêtes prises à la trappe (toujours pour leur fourrure) et se rongeant les pattes pour essayer d’échapper, nous ferions sans doute plus attention à l’immense et dérisoire détresse des prisonniers de droits communs -dérisoire parce qu’elle va à l’encontre du but, qui serait de les améliorer, de les rééduquer, de faire d’eux des êtres humains. Et sous les splendides couleurs de l’automne, quand je vois sortir de sa voiture, à la lisière d’un bois pour s’épargner la peine de archer, un individu chaudement enveloppé dans un vêtement imperméable, avec une « pint » de whisky dans la poche du pantalon et une carabine à lunette pour mieux épier les animaux dont il rapportera le soir la dépouille à sanglante, attachée sur son capot, je me dis que ce brave homme, peut-être bon mari, bon père ou bon fils, se prépare sans le savoir aux « Mylaï » de l’avenir. En tout cas, ce n’est plus un homo sapiens. »
« Le Mylaï est un village vietnamien dont la population fut massacrée par un détachement américain, nouvelle qui éclata à retardement et fit quelque temps scandale », précise le livre, en bas de page.
POLITIQUE ET ÉDUCATION
« Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime.
J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation de l’enfant.
Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devrait plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire.
Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil.
On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir.
On essayerait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses; il saurait le nom des plantes, il connaitrait les animaux sans se livrer aux odieuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts.
On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays.
En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés.
On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, à commencer par celle qui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.
Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait. ».
- Extraits de » Les yeux ouverts « , de Marguerite Yourcenar, Le Livre de Poche. Entretiens avec Matthieu Galey.
Source : Marguerite Yourcenar vivait les yeux ouverts, Laure Gerbaud
20. POLITIQUE ET MÉTAPHYSIQUE
« L’Homme libre pense par lui-même et décide en son âme et conscience
ce qu’il doit faire ou ne pas faire. »
ÉDUQUER AUTREMENT
« Ainsi, ils apprennent à consulter leur cœur et à ressentir en eux-mêmes comment se comporter de façon juste, en harmonie avec la Vie. «