VIVRE AUTREMENT
Points de vue – Ressources
Quelle définition donneriez-vous de l’éthique ?
Cette question a été posée au philosophe Bernard Stiegler…
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Transcription :
Y a-t-il une tradition dans laquelle s’enracine particulièrement l’éthique ?
Alors pourquoi peut-on dire que le peuple juif est le peuple éthique, bien que le mot éthique ne soit pas hébreu ? Je crois que c’est parce que c’est le peuple qui pose la question en tant que peuple, et non simplement en tant qu’individu, de sa position par rapport à ce que l’on appelle la transcendance ; et donc de sa place, qui, par ailleurs, s’accompagne de prescriptions.
Faites vous une différence entre l’éthique et la morale ?
Je distingue, chose qui est souvent confondue, l’éthique de la morale. En disant que l’éthique, c’est une situation où l’on est contraint de ne pas sortir de sa place ; la morale, c’est ce qui définit des règles partagées par un ensemble de gens sur la manière de ne pas sortir de sa place. Ce n’est pas la même chose. On peut respecter la morale sans être éthique. Et par ailleurs, l’éthique véritable, c’est quand on rencontre une situation où il n’y a pas de règle morale qui fonctionne, et où là, on doit décider de quelque chose. Donc, c’est une question de l’invention. Un être éthique, c’est quelqu’un qui est capable d’inventer une position digne, non honteuse, c’est-à-dire un aidos, une façon d’être dans l’aidos, là où la morale ne lui apporte aucun secours. Donc c’est une manière aussi d’affirmer le caractère singulier de l’être éthique. L’être éthique est un être absolument singulier. Personne ne peut lui donner sa loi.
Ce qui fait que l’éthique n’est pas une morale, c’est qu’elle n’existe pas. Elle reste toujours à inventer. Il en va de même pour la justice. La justice n’existe pas. Mais le droit existe. Il y a un droit positif, il faut respecter le droit.
Puisque l’éthique est toujours à inventer, comment s’y prendre ?
Je pense que l’éthique est un sentiment qui est transmis. Le mythe de Prométhée et d’Épiméthée dit que c’est un sentiment qui est inscrit au fond du cœur du mortel. En puissance, tout être humain doit être éthique. Mais en acte, il ne peut l’être que si on le forme à le devenir. C’est-à-dire que la puissance, chez Aristote, la dynamis, c’est la matière. Et cette matière, elle n’est qu’en puissance, il faut la travailler pour qu’elle devienne effectivement éthique. Cela s’appelle l’éducation, ce que j’appelle, moi, le soin. Cela se transmet. C’est ce qui suppose la formation d’un surmoi, surmoi dont j’hérite, que j’ai hérité de mon père, qui lui-même l’a hérité de son père ; donc je l’hérite de mon grand-père, qui lui-même l’a hérité de son grand-père, et ainsi je l’hérite jusqu’à…. C’est ce qu’Antigone appelle « la loi non écrite ». Elle est non écrite parce qu’elle est inénarrable, immémorable, … et elle a une autorité colossale ! Chez les monothéistes, la source, c’est Dieu le père. Dieu le père, c’est le Dieu éthique à cause de cela, parce qu’Il est cette source-là.
- Source : Fondation Ostad Elahi – éthique et solidarité humaine